Omniprésente dans son œuvre, la musique est pour Marc Chagall une source d’inspiration constante, à la fois sujet de création, élément symbolique ou rythme de composition. Intimement lié à son univers familial et au contexte culturel juif de sa ville natale, Vitebsk, cet attachement se traduit tout au long de sa vie par une écoute attentive des compositeurs et par des créations scéniques ou architecturales. Dépassant la simple représentation de musiciens, la présence de la musique dans l’œuvre de l’artiste est inattendue, s’exprimant sur tous types de supports et matériaux.
Adoptant volontairement un parcours à la chronologie inversée, l’exposition souligne avec force le caractère vital de la musique dans l’œuvre de l’artiste, des années 1960 aux années 1920.
Réserver pour l’expositionLe décor monumental du plafond de l’Opéra de Paris, peint sur une surface de 220 m2, est commandé à Marc Chagall en 1963 par André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles et ami de l’artiste : « Quel autre artiste vivant aurait pu peindre le plafond de l’Opéra de Paris comme Chagall ? C’est l’un des plus grands coloristes de notre temps […] un grand nombre de ses toiles et le plafond de l’Opéra forment une image illustre qui compte parmi la plus belle poésie de notre époque ».
Malgré de vives critiques contre le peintre, accusé de rompre l’unité d’un bâtiment du Second Empire et d’occulter son œuvre originelle, Chagall, alors âgé de 77 ans, relève le défi et y travaille pendant près d’un an. Telle une palette de couleurs monumentale, le décor rend hommage à quatorze compositeurs et à leurs œuvres.
En partenariat avec l’Opéra de Paris, le Lab de l’Institut Culturel de Google à Paris a numérisé en ultra haute définition le plafond peint par Marc Chagall en 1964. Véritable défi technologique, cinq personnes se sont relayées pendant plusieurs nuits pour réaliser ces images qui servent de base à cette nouvelle composition graphique et musicale. Elle permet aujourd’hui de redécouvrir la splendeur de la matière et la minutie des détails, jusqu’alors invisibles à l’œil nu et de pénétrer au cœur d’une œuvre à la fois personnelle, moderne et monumentale.
Dans les années 1960, Marc Chagall se consacre à la réalisation de grands projets décoratifs et architecturaux. Plusieurs commandes publiques lui permettent d’explorer une monumentalité nouvelle et de développer sa peinture sur de larges espaces.
Des lieux de spectacle, de salles de théâtre, de concert ou d’opéras ainsi que des édifices religieux bénéficient de son talent dans la conception de leur programme décoratif.
En 1964, la rencontre entre Rudolph Bing, directeur du Metropolitan Opera, Günther Rennert, metteur en scène, et Chagall, est à l’origine du projet d’une nouvelle adaptation de La Flûte enchantée, opéra en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart, à New York.
Dépeignant une nature aussi luxuriante que menaçante, peuplée d’êtres hybrides et d’animaux fantastiques, Chagall conçoit treize toiles de fond d’une hauteur de vingt mètres, vingt-six éléments de décor et plus de cent vingt costumes.
À partir des années 1950, Marc Chagall donne une orientation nouvelle à son art par une exploration aussi vitale que jubilatoire de toutes les techniques et matières. À la recherche de nouveaux moyens d’expression, répondant au besoin de dialogue avec les matériaux, il se consacre à la sculpture et à la céramique.
Pénétrant, prélevant, intervenant directement dans la terre ou la pierre, il devient lui-même producteur de sons, donnant naissance à des objets pleins ou creux, dont les formes résonnent d’éclats, d’échos ou de silence. Ce dialogue polyphonique se poursuit dans les collages de papiers ou de tissus, ainsi que dans les huiles sur toile contemporaines pour lesquelles l’artiste mélange du sable à sa préparation afin d’obtenir une texture granuleuse, crissante et rugueuse.
Marc Chagall se voit confier par l’Opéra de Paris la création des décors et des costumes d’une nouvelle version du ballet Daphnis et Chloé, dont la première a lieu au théâtre de la Monnaie à Bruxelles en 1958, chorégraphiée par Serge Lifar, avant la reprise par Georges Skibine à Paris l’année suivante.
Travaillant parallèlement aux gouaches préparatoires destinées à la série lithographique commandée par Tériade sur le même thème, l’artiste nourrit ses maquettes de décors et de costumes de la luminosité éclatante et du bleu profond de la mer qu’il a éprouvés en Grèce (1952 et 1954).
Marc Chagall arrive à New York en 1941, fuyant la France occupée et la menace nazie. Démarre alors une période d’exil et d’intense création, ponctuée d’expériences scéniques fondamentales.
L’Oiseau de feu, ballet en quatre tableaux sur un argument de Michel Fokine et une musique d’Igor Stravinski, est présenté pour la première fois par les Ballets russes en 1910. Une nouvelle version est commandée par le Metropolitan Opera de New York en 1945. Bien que s’inspirant du souffle romantique russe, Chagall propose une interprétation plus libre du thème slave : il développe un répertoire poétique ardent et sauvage inspiré par l’art populaire du Nouveau Mexique (les kachinas). Quatre rideaux de fond de scène sont créés, dont celui du premier acte, La Forêt enchantée, révélant une nature cosmogonique et magique.
Ballet en quatre tableaux créé par Léonide Massine et Marc Chagall, Aleko est inspiré d’un poème de Pouchkine, Les Tsiganes, sur une musique de Tchaïkovski. Sur une commande du Metropolitan Opera de New York, Marc Chagall en réalise les costumes et les décors à Mexico en 1942, où a lieu la première représentation. Vision romanesque de la vie bohémienne, l’œuvre prend pour thème l’amour malheureux de l’aristocrate Aleko et de la gitane Zemphira, nourri par leur exil et leur errance. L’intensité dramatique du récit est magnifiée par les toiles de fond et les costumes réalisés par l’artiste, lui-même en exil aux États-Unis.
Le Théâtre d’art juif (GOSET) voit le jour en 1919 sous la direction d’Alexeï Granovski qui demande à Marc Chagall de concevoir un programme artistique universel pour décorer les murs du théâtre. Véritable reflet de la culture et de la langue yiddish, cet ensemble réunit le monde du théâtre populaire, celui de la musique, du rythme et de la couleur. Le rideau de scène et la peinture du plafond ayant disparu, seuls sept panneaux ont été conservés, composant la « boîte à Chagall ».